Il y a quelques semaines, SeaWorld annonçait la fin de son programme de reproduction en captivité et le remplacement des spectacles d’orques par un programme éducatif sur le “comportement naturel de l’orque”. De quoi se réjouir ? Cette nouvelle politique n’est cependant issue que d’une obligation légale et d’un besoin urgent de restaurer l’image et le chiffre d’affaires de la chaîne de parcs à thème. Si cela ne tenait qu’au Président et Directeur général de SeaWorld, Joel Manby, les orques resteraient en leur possession et seraient exploitées jusqu’à la fin de leur vie, sans aucune chance de jamais revoir l’océan. Mais la popularité déclinante de l’entreprise encourage ses adversaires à concevoir des réserves marines pour accueillir les orques.

Lolita dans son bassin exigu - copyright Free Lolita the Orca

L’an dernier, lorsque SeaWorld a demandé l’autorisation de doubler la taille de l’infrastructure dédiée aux orques de son parc de San Diego, ils pensaient l’obtenir facilement. Mais la California Coastal Commission a eu le nez fin. Elle a supposé que les 100 millions $ que coûterait  cet agrandissement ne serviraient pas à l’amélioration du niveau de vie des orques, mais seulement à faire se reproduire encore plus d’orques et à les vendre à de nouveaux parcs en Asie. C’est pourquoi elle n’a donné son accord qu’à la condition que SeaWorld mette un terme à son programme de reproduction d’orques.

Ils n’ont pas souhaité aller en appel contre cette décision. Depuis les films “Sauvez Willy“ (1993), “The Cove“ (2009) et “Blackfish“ (2013), SeaWorld est de plus en plus critiqué pour le maintien en captivité de grands mammifères marins et la manière avec laquelle ils traitent les animaux. Dans le documentaire Blackfish, il est clair que l’orque Tilikum a tué trois personnes au cours de ses années de captivité en raison du traumatisme qu’il a enduré dans les bassins, causé entre autres par les attaques d’autres orques enfermées avec lui dans un espace bien trop restreint. Après la diffusion du film sur CNN, dans les cinémas et dans de nombreuses écoles aux USA, la vente des billets a commencé à dégringoler. Fin 2015, le chiffre d’affaires de SeaWorld avait chuté de 84% et la valeur de leurs actions diminué de moitié. 

En captivité, les orques souffrent physiquement et psychologiquement - copyright Free Lolita the Orca

Sea Shepherd craigne que SeaWorld poursuive l’insémination artificielle en dépit de son annonce. Des orques mâles et femelles partagent toujours les mêmes bassins afin que, lors de la naissance suivante, on puisse prétendre que la fécondation a eu lieu “naturellement”. Il y a quelques semaines, dans le programme “Rambam” à la télévision néerlandaise, on a pu encore voir que les visiteurs de Harderwijk étaient trompés de la même manière. Pour les dauphins et les autres mammifères marins de SeaWorld, comme les pseudorques et les globicéphales, il n’y a d’ailleurs pas eu d’annonce du tout concernant une limitation du programme de reproduction.

En ce qui concerne le remplacement des spectacles d’orques par une exhibition éducative du comportement naturel des orques, les organisations de défense des animaux ne se font pas davantage d’illusions. Entretemps, l’agrandissement du bassin à spectacle de San Diego a été annulé. Le Président et Directeur général Mandy a déclaré que « ils pouvaient améliorer le bien-être des orques d’une façon beaucoup moins coûteuse ». Les nouveaux spectacles vont donc continuer d’avoir lieu dans les mêmes blocs de cellules bleues et exiguës dans lesquelles les animaux se trouvent actuellement. À l’état sauvage, les orques nagent jusqu’à 120 km par jour, alors que certains bassins font à peine quelques fois la longueur du corps des animaux. Les bassins en béton sont également dépourvus de stimuli. Ils n’offrent absolument pas d’espace ni de possibilité d’activer des comportements naturels. En outre, comparé aux spectacles actuels, un mouvement moins intense va encore faire augmenter l’ennui chez les orques.

Les orques sont souvent agressives les unes envers les autres à cause du stress - copyright Orca Research Trust

Les parcs SeaWorld en Californie, au Texas et en Floride renferment en tout 29 orques âgées de 1 à 51 ans.  Étant donné que leur durée de vie est comparable à celle de l’être humain, on peut s’attendre à ce que nombre de ces animaux continuent à subir leur sort pendant encore des décennies.  Ces dernières années, des voix s’élèvent en masse en vue de transférer les orques et les soigner dans des baies ou des fjords délimités. Une sorte de réserve pour orques donc. Pour les orques nées dans la nature, le but ultime pourrait même être une remise en liberté totale. Ce que SeaWorld refuse catégoriquement, prétendant que le transfert des orques dans un environnement naturel en dehors des parcs signifierait une condamnation à mort pour les animaux. Qu’ils succomberaient à l’exposition à la pollution, aux maladies et aux tempêtes. Selon eux, l’argent nécessaire au financement d’un tel parc marin serait bien mieux employé à la sauvegarde d’animaux plus menacés, comme la lutte contre le braconnage des éléphants. Manby affirme également que le projet de libération de Keiko – la star du film “Sauvez Willy” et la seule orque à avoir été intensivement réadaptée jusqu’ici – a échoué, parce que Keiko est mort d’une infection pulmonaire un an et demi après qu’il ait été remise en liberté. 

En réalité, avant le début du projet, Keiko était l’une des orques en captivité les plus mal en point. À cause d’un mauvais traitement durant des années dans le parc mexicain où il était détenu, Keiko a développé un système immunitaire très faible, des ulcères, des problèmes digestifs et un virus dermatologique. Puis, au cours de ses deux années de réadaptation dans une cage marine en Oregon, il a pris presque 1.000 kg, ses ulcères et son virus ont disparu et son état cardio-vasculaire ainsi que sa force musculaire se sont améliorés de façon spectaculaire. Ensuite, il a été transporté par avion vers une baie en Islande où il a appris à chasser par ses propres moyens. Étape par étape, il a réalisé des incursions toujours plus loin dans l’océan, a eu des interactions avec d’autres mammifères marins et a finalement pu nager librement pendant un an et demi à travers l’océan Atlantique, principalement de l’Islande à la Norvège.

Keiko dans sa baie en Islande - copyright Joshua Records, LLC

Durant les 6 ans pendant lesquels Keiko a séjourné dans l’océan, 14 orques sont mortes dans leurs petits bassins chlorés à travers le monde. Deux d’entre elles sont décédées à SeaWorld d’une infection pulmonaire, à laquelle Keiko a donc succombé également. L’une d’entre elles, Katarina, avait été diagnostiquée par le parc un jour à peine avant de mourir ; et chez l’autre, Bjossa, l’affection était chronique et les vétérinaires n’ont pas pu la guérir. Il est donc absurde d’affirmer que Keiko est mort parce qu’il avait été remis en liberté. Keiko n’est d’ailleurs pas la seule orque à avoir vécu et prospéré dans une réserve marine. Certaines d’entre elles ont aussi été finalement remises complètement en liberté.

« Lors de la mise en place d’une réserve pour les orques, il faut évidemment choisir minutieusement un lieu adapté, abrité avec une bonne qualité de l’eau et du courant, mais les avantages sont beaucoup plus nombreux que les risques », explique le professeur Naomi Rose, biologiste marin et spécialiste des orques. « Les orques disposent là d’un espace bien plus grand et plus profond, d’eau de mer naturelle et elles peuvent à nouveau ressentir les marées. En outre, elles peuvent apprendre à se nourrir par elles-mêmes et à interagir avec les animaux marins sauvages. Il va de soi que les réserves marines sont un environnement beaucoup sain, sûr et humain pour les mammifères marins que des bassins en béton. SeaWorld a l’habitude de servir des arguments vains pour gagner un maximum d’argent sur le dos des orques tout en minimisant les coûts ».

La baie dans laquelle Keiko était en rééducation - copyright Joshua Records, LLC

Par le passé, des organisations de défense des animaux sensibles au sort d’animaux individuels, ont déjà conçu une feuille de route complète pour réinsérer certaines orques en captivité. C’est ainsi qu’il existe des protocoles détaillés pour Lolita de l’aquarium de Floride et pour Morgan, prélevée en Mer du Nord et finalement expédiée au Loro Parque espagnol. D’autre part, les spécialistes des orques comme le Dr. Ingrid Visser ont développé des projets de sanctuaire à grande échelle pour les orques au repos, où un certain nombre d’orques du même sexe et si possible natives de la même région pourraient vivre ensemble dans une baie ceinte de longues bandes de terre. Les plans prévoient même, à distance suffisante, des plateformes d’observation pour les visiteurs. Seulement, la réalisation d’un tel plan est évidemment extrêmement coûteuse. Le sanctuaire pourrait se maintenir financièrement dans une certaine mesure grâce à la vente de billets d’entrée, de nourriture, de boissons et de souvenirs aux visiteurs adeptes du “whale watching”, mais d’importants investissements initiaux seraient en tout cas indispensables.

Réserve imaginée pour Lolita - copyright Free Lolita the Orca

L’infrastructure, les soins de réadaptation et la remise en liberté de Keiko ont coûté un million de dollars par an et ont été en partie financés par un certain nombre d’organisations de bienfaisance et de donateurs, mais principalement par l’entrepreneur de téléphonie mobile Craig McCaw. Celui-ci avait lu un article sur la situation de Keiko dans le Wall Street Journal et  décidé alors de financer les plans de la Free Willy – Keiko Foundation. Une chance unique donc, pourrait-on penser. Mais en octobre 2015, le directeur de l’entreprise de jouets “Munchkin” Steven Dunn, qui avait vu le film “Blackfish” et se souciait du sort du tristement célèbre  Tilikum abandonné, envoya une offre à SeaWorld. Il voulait investir un million de dollars par an pour mettre Tilikum à la retraite dans une réserve marine en collaboration avec une équipe de biologistes et de vétérinaires. Il  demanda à SeaWorld de céder Tilikum. SeaWorld ne réagit nullement à cette offre, et ce, pendant des mois.

Présentation d’une réserve à orques par Orca Research Trust

Lorsque SeaWorld annonça plus tard que Tilikum souffrait d’une maladie pulmonaire incurable et qu’il était donc trop tard pour le réinsérer, Dunn modifia son offre. En collaboration avec l’organisation Whale and Dolphin Conservation (WDC), il envisage maintenant la construction d’une réserve à orques, qui puisse être utilisée pour des orques blessées ou échouées. En attendant, il pousse SeaWorld à céder une orque, n’importe laquelle, pour la réserve. Par ailleurs, Dunn espère devenir une source d'inspiration pour d’autres entrepreneurs à succès, afin qu’ils suivent son exemple et investissent eux aussi dans un grand sanctuaire pour les orques. Lorsque l’offre de Dunn fut relayée dans les médias, SeaWorld réagit finalement avec la déclaration suivante : « SeaWorld est une partie de la solution, pas du problème. Nos animaux prospèrent dans nos parcs et notre travail scientifique et nos travaux de sauvetage des mammifères marins font de nous un leader dans la protection et le maintien de ces espèces… ».” 

Sur la page Facebook Retire Tilikum the Orca, les efforts pour mettre les orques captives à la retraite au sein de réserves marines sont suivis de près.

bannière du nouveau film Keiko (http://www.keikotheuntoldstory.com/)