Rapport opération Nyamba

En 2015, je me suis inscrite pour la première fois en tant que bénévole chez Sea Shepherd. Cela ne me suffisait plus d’uniquement soutenir financièrement l’organisation; mon mari et moi voulions aussi donner de notre temps et retrousser nos manches. C'était le début d'une aventure sans cesse renouvelée et depuis lors, nous avons participé à l'opération Jairo I (Etats-Unis, 2015), Jairo II (Honduras, 2016) et Nyamba II (Mayotte, 2018). Nous sommes également actifs en Belgique en tant que bénévole à terre.

Toutes les campagnes auxquelles nous avons participé étaient des campagnes de protection des tortues marines. Sea Shepherd s’engage fortement dans la protection de ces animaux impressionnants. Et à juste titre, puisque toute aide leur est utile. Les tortues marines  vivent sur notre planète depuis plus de 200 millions d'années. Elles ont partagé la Terre avec les dinosaures et ont survécu à plusieurs événements d'extinction massive. Mais aujourd'hui, la survie de ces animaux préhistoriques est sérieusement menacée. Nous, l’être humain, l’être dit le plus intelligent, en sommes responsables. Les tortues marines continuent à être braconnées; selon l’espèce et la région, c’est pour leur viande, leur carapace et/ou leurs œufs. Dans le meilleur des cas, leur habitat est pollué par le plastique et la lumière artificielle; dans le pire des cas, leurs sites de nidification ont disparu. En outre, de plus en plus de tortues entrent en contact avec des personnes en pleine mer, victimes d'accidents avec des bateaux, empêtrées dans des déchets ou comme prise accessoire de la pêche industrielle. Nous, l’être humain…

De retour de l'opération Nyamba, organisée par Sea Shepherd France, il me tient à cœur de partager mon expérience. L'opération Nyamba se passe à Mayotte, un petit archipel situé dans l'Océan Indien, juste à côté de Madagascar. Il s’agit d’un département français, qui fait donc partie de l'UE. L'espèce de tortue dominante est la Tortue verte (Chylonia mydas). Un animal particulier : majestueux, puissant et magnifique. La Tortue verte est classée comme «menacés» par l'UICN et protégée par la CITES. En d'autres termes, il est illégal d'importer, d'exporter, de capturer ou de tuer cet animal. Mais toute protection juridique sur papier ne signifie quelque chose que si elle est appliquée. Et c’est de ce point de vue là que la situation à Mayotte est un énième exemple poignant.

Étant donné que pour trouver un lieu de nidification tranquille, les tortues ne viennent à terre que dans l’obscurité, nous, les bénévoles, vivons également principalement la nuit. Vers 17h30, le quart débute et nous nous rendons en petits groupes sur les différentes plages. Certaines plages ne sont accessibles qu’après une marche à travers la forêt ou la montagne, ou après la descente d'une falaise, ce qui fait que souvent, se rendre sur place représente une aventure en soi. Il y a une surveillance constante du nombre de tortues venues sur terre et de leur lieu de nidification, des mouvements suspects sur la plage ou en mer pouvant indiquer des braconniers, des meutes de chiens sauvages essayant de dévorer les tortues à peine sorties de leur œuf, etc.. En moyenne, un poste dure environ 13 heures, mais dans tous les cas, les bénévoles ne rentrent que lorsque la dernière tortue est à nouveau en sécurité dans l'eau. Quelques heures de sommeil, un repas rapide et une série d’autres activités pratiques plus tard, la nuit suivante est déjà là.

La difficulté d'accès aux plages et les nombreux kilomètres que vous parcourez, combinés aux heures de sommeil limitées, signifient que la campagne est assez éprouvante sur le plan physique. Les nuits sont souvent froides, le climat humide empêche de dormir et vos vêtements sont trempés, de sorte que la température ressentie chute énormément. Les nuits sont aussi longues; souvent, vous restez assis au même endroit pendant des heures (une tortue met environ trois heures à trouver un lieu de nidification et l’occuper) et dans ce cas, le marchand de sable à tendance à montrer le bout de son nez. Enfin, les nuits sont parfois difficiles; nous protégeons une poignée de plages pendant que des centaines ne le sont pas, les "gardiens" (des fonctionnaires rémunérés chargées de la surveillance) font la sieste plutôt que des patrouilles, les ressources sont limitées, ... ce qui signifie que vous perdez également des tortues et que la vue des carcasses braconnées s’inscrit dans votre mémoire.

Et pourtant, je reviendrais sans l’ombre d’une hésitation. Pour chaque tortue braconnée, nous avons sauvé tant d'autres d'une mort certaine. L’esprit d’équipe entre les bénévoles est incroyable ; bien sûr, vous êtes responsables de la sécurité les uns des autres, mais en plus, vous sentez que vous êtes tous là pour la même cause, ce qui vous lie. Et enfin, les blessures, les douleurs musculaires, la frustration ou la fatigue ne représentent plus rien lorsque vous pouvez apercevoir une tortue et, quelques heures plus tard, la contempler ayant regagné l’océan en toute sécurité. Un immense sentiment d'humilité, un privilège difficile à décrire. 

Après un court mois de séjour sur place, le contraste est grand lorsque vous rentrez chez vous. Mais heureusement, l'histoire ne s'arrête pas nécessairement là. A chaque choix que nous faisons, nous pouvons influencer le destin des tortues marines (et des océans en général) : choisir une alimentation à base de végétaux, éviter les «plastiques à usage unique» et les «micro-plastiques» dans le ménage et pour les produits de soins, ... jusqu’à retrousser des manches lors de la prochaine opération de nettoyage des plages ou apporter sa contribution en tant que bénévole à terre. Pour nous, ce sont de petites choses; pour les océans, cela fait un monde de différence.