"Fin juin 2014, j’appris qu’un évènement se tiendrait à l’Atomium contre le maintien de mammifères marins en delphinariums. Un appel à volontaires était lancé et sans bien m’en rendre compte, me voilà parmi une centaine d’enthousiastes de toutes couleurs et de tous horizons, protestant silencieusement au Parc du Centenaire."

Sachez que le nombre de manifestations auxquelles je n’ai jamais participé se comptent sur les doigts d’une main. Bien évidemment, j’étais convaincu de la nécessité de la conservation de la nature et de la protection de tout ce qui vit, mais mon engagement se bornait à de l’indignation sporadique et à quelque activisme de clavier. Cela apaisait la conscience et le reste pouvait facilement être réprimé. Les excuses ne manquaient pas alors que le temps lui… Et pourquoi s’engager plus avant ? N’étais-je pas père de 4 enfants avec un emploi à temps plein dépassant largement le 9 à 5 ? N’étais-je pas, tous les soirs, fort occupé en tant que pigiste ? N’accompagnai-je pas deux fois semaine des débutants dans leur initiation à la plongée ? Et toutes ces organisations culturelles dans la direction desquelles j’étais impliqué ? Je fournissais amplement ma contribution, alors quoi ? D’un homme de 52 ans, on ne pouvait quand même pas attendre qu’il aille en plus s’enchaîner à une plateforme pétrolière ?

Cela peut paraître étrange, mais là, sous l’Atomium, j’ai vu tant d’engagement, tant de vraie compassion et une telle solidarité spontanée, que j’ai compris que je m’étais leurré tous ce temps. J’avais besoin de me recueillir, de retourner à l’essentiel. La course folle, le « rat race » qui me tenait en son emprise, ne menait à rien. Je pouvais faire tellement plus pour les choses qui comptaient vraiment.

Rentré chez moi, je passai en revue toutes les organisations que j’avais rencontrées ce jour-là. Quelle palette. Les opinions se rejoignaient, le but était clair : la sauvegarde des océans et de tout ce qui y vit. J’avais déjà entendu parler de Sea Shepherd aux informations et j’avais la chance qu’ils cherchent des volontaires pour mener une action cet été contre le massacre des baleines-pilotes aux Îles Féroé.

Aucune expérience n’était requise et dans un élan euphorique et téméraire, je posai ma candidature. Contre toute attente, je fus informé que je pouvais participer à l’Opération Grindstop. Je ne savais plus où j’en étais : je me sentais incertain et fier à la fois.  Certainement lorsque les enfants me disaient être fier que leur père s’engage auprès de Sea Shepherd. Il y a de quoi.

Les préparatifs se déroulaient dans le plus grand secret et les informations étaient communiquées avec parcimonie. Et me voilà atterrissant le 30 août, sur une île trempée par la pluie et perdue au milieu de l’Océan Atlantique, sans adresse de référence avec seulement le numéro de téléphone d’un certain Lukas supposé venir me chercher… et qui s’est fait attendre pendant des heures ! Plus tard, il est apparu qu’il avait eu une soirée plus que chargée. Une équipe de volontaires avait été arrêtée sur l’île de Sandoy alors qu’elle tentait d’empêcher un massacre de baleines-pilotes. La tension était à son comble et le ton était mis.

Je n’oublierai jamais mon arrivée à Sandoy. J’avais à peine dormi, il y avait 24 heures que je n’avais rien mangé (ça m’apprendra) et je me sentais misérable dans mes vêtements humides et bien trop légers. L’île avait l’air déserte. Un rocher pelé avec quelques laides maisons préfabriquées et mis à part quelques moutons, pas d’âme qui vive. Ce n’est que plus tard que je découvris les yeux épiant de derrière les rideaux. Il y régnait une atmosphère de communauté restée fixée dans le passé. Les apparences sont trompeuses. Toutes les facilités étaient présentes et les Féroïens acceptent volontiers la main tendue par le Danemark et l’UE.

Je vécus pendant quelques semaines avec des Shepherds venus des quatre coins de la rose des vents.  Le Mexique y était, ainsi que le Canada, et l’Afrique du Sud, l’Italie, l’Australie, la Finlande, la France, l’Autriche, et l’Espagne. Et bien que nous soyons logés très à l’étroit, pas une parole de travers ne tomba pendant cette période. Personne ne geignit, personne se plaignit, et en rentrant de sa ronde le soir, épuisés et engourdis, il y avait toujours quelqu’un qui avait spontanément préparé de la soupe bien chaude. Jamais auparavant, je n’avais vu de solidarité, de ‘vivre-ensemble’ aussi sincère. J’avais trouvé l’essence que je recherchais.

Une fois rentré chez moi, je lus tout ce que je pus trouver sur Sea Shepherd et je pris contact avec la section belge. C’est assez curieux d’avoir d’abord participé à une campagne avant de m’enrôler comme volontaire ici. Mais c’est comme ça… Je retrouvai cette même solidarité, ce même élan pour protéger nos océans de façon bien terre-à-terre. Comme cadeau de bienvenue, je reçus tout de suite un spectacle de Guy Swinnen. Je m’emporte peut-être un peu…

Fidèle aux paroles de JFK, je n’attendis pas de voir ce que Sea Shepherd pouvait pour moi, mais je cherchai comment je pouvais me rendre utile. Ce n’étaient pas les occasions qui manquaient. Sur simple demande, je pus collaborer à un « meet and greet » avec Paul Watson à Saint-Malo, à une visite du Colombus, à une entrevue avec les Shepherds néerlandais à Amersfoort, à un stand lors d’un salon de plongée à Anvers et à une présentation de Kurt Amsler, Shepherd et photographe sous-marin en Zeelande. Pour le prix d’un weekend à Werchter, je peux accompagner quelques semaines lors de l’opération Saimaa Seal en Finlande et en septembre, je vais aider à mettre les points sur les i aux Féroé avec l’Opération Sleppid Grindini.

Une belle ligne directrice traversant ces derniers mois, est l’ardeur inconditionnelle de tant de Shepherds à défendre nos océans, source de vie. Et l’ardeur inconditionnelle est à prendre à la lettre. Elle ne vous rend pas beau, riche ou célèbre. Le seul bien que vous puissiez tirer à « garder les océans», c’est la satisfaction de sauver des vies. Pas le moindre des bien !

Les océans sont notre forêt vierge et répéter jusqu’à plus soif les paroles « If the oceans die, we die » reste pertinent. En tant que Shepherds, nous sommes les ambassadeurs de tout ce qui vit sous l’eau. Nous devons écouter, convaincre et agir pour ceux qui ne peuvent parler. Ils comptent sur nous. De pouvoir collaborer à cela sous la bannière de Sea Shepherd est pour moi une faveur pour laquelle je suis très reconnaissant.

For the oceans,
Patrick